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ISSN 2496-9346

mercredi 21 décembre 2011

André Baudet, Le commerce dans cent ans ( 1932 - 2032 )

La projection à cent ans fut fort à la mode. Aujourd'hui la prospective porte souvent sur des dates plus proches. André Baudet, espérantiste, imagine en 1932 ce que sera le commerce cent ans plus tard dans un discours reproduit dans Le Chasseur français en mars 1933 (1). Nous avons mis en gras quelques passages plus particulièrement intéressants. Le Chasseur français proposait de nombreuses rubriques et parfois des anticipations. Il ne s'agit pas d'espérer y trouver de véritables fictions, plutôt des articles à tendance conjecturale. Deux rubriques sont assez riches: "Par-ci, par-là" qui rassemble de nombreux varia et "Le mois scientifique". 





LE COMMERCE DANS CENT ANS

Un auteur français du XVIIe siècle a écrit : « Si l’on juge par le passé de l’avenir, quelles choses nouvelles nous sont inconnues dans les arts, dans les sciences, dans la nature et, j’ose dire, dans l’histoire! Quelles découvertes ne fera-t-on point ! Quelles différentes révolutions ne doivent pas arriver sur la face de la terre, dans les Etats et dans les Empires ! quelle ignorance est la nôtre ! et quelle légère expérience que celle de six ou sept mille ans !» (La Bruyère.)
La Bruyère, lorsqu’il écrivait ces lignes, ne soupçonnait pas qu’en 1932, c’est-à-dire moins de trois siècles plus tard, on communiquerait sans fil d'un bout à l’autre du monde, qu’on irait de France en Indochine en moins de cinq jours et que, dans le même laps de temps, on traverserait le Nord-Atlantique en avion, que les routes verraient passer des bolides faisant 120 kilomètres à l’heure, qu’à travers Persiennes et fenêtres closes, confortablement installé chez soi, on entendrait des concerts donnés à l’autre bout de l’Europe, que des colons perdus dans la plus profonde brousse africaine resteraient en communication par T. S. F. avec le reste du monde, que le cinéma et surtout le cinéma parlant ressusciterait la vie.
Ce qui est plus frappant, lorsqu’on jette un coup d’œil en arrière, c’est la rapidité avec laquelle la science progresse. Elle semble animée, comme disent les physiciens, d’un mouvement non « uniforme », mais « accéléré ». 11 s’agit, comme disent les mathématiciens, d’une progression non « arithmétique », mais « géométrique ». Lorsqu’on cherche à se présenter l’avenir, il ne suffit donc pas de croire que les progrès scientifiques vont se développer à la même allure que dans les dernières années ; on est en droit de supposer qu’ils se développeront encore beaucoup plus vite, entraînant dans un délai assez restreint des applications pratiques que nous ne pouvons pas soupçonner.
Il est d’abord à présumer que la rapidité des communications en l’année 2032 présentera sur celle actuelle une différence encore plus grande que celle constatée dans l’espace des cent dernières années.
La transmission de la pensée, si prodigieusement facilitée depuis l’époque des diligences par le télégraphe et, le téléphone, est encore actuellement entravée par la difficulté de faire comprendre cette pensée à n’importe quel homme dans le monde en raison de l’extrême diversité des langues... Le développement progressif de l’Espéranto en ces dernières années, constaté à l’occasion du XXIVe Congrès international tenu à Paris, en 1932, donne l’impression très nette que les résistances du début sont désormais vaincues. Non seulement cette langue commune facilitera des tractations internationales, mais elle permettra d’intensifier la publicité dans les pays étrangers.
L'aviation se perfectionnera probablement dans deux sens :
1° Par la construction d’appareils extrêmement légers et peu encombrants, permettant à l’homme de se déplacer individuellement comme un oiseau ;
2° Par l’emploi d’appareils-géants pouvant transporter des marchandises lourdes à grande distance.
L’imagination peut se donner libre cours pour concevoir l’aspect des cités futures et le sillonnement de l’espace par des appareils dont il nous est aussi difficile de supposer la forme qu’il était impossible aux hommes de 1832 de prévoir l’automobile et l’avion.
Dans cent ans, on ne considérera probablement plus comme une utopie —: s’ils ne sont pas déjà même réalisés à cette époque — les voyages interplanétaires dont la possibilité théorique est dès maintenant démontrée scientifiquement.
Mais ce que nous pouvons considérer comme une certitude, c’est que la rapidité des transports s'accroîtra considérablement, permettant de mettre en valeur des richesses de contrées jusqu'ici improductives et de transformer en consommateurs des millions d’hommes actuellement sans besoins, parce que vivant encore à l’état rudimentaire.
Bien entendu, cela suppose que le monde civilisé existera encore en 2032 et que les hommes auront la raison de ne pas utiliser leurs nouvelles découvertes à s’entretuer et à détruire leurs propres œuvres.
Cela suppose avant tout que l’homme ne cherche pas uniquement à utiliser les progrès de la science à des fins purement égoïstes et à la satisfaction d’un bien-être exclusivement matériel.
Si les hommes continuent à élever des barrières entre les différents pays, s'ils en arrivent à se préoccuper seulement d'eux-mêmes et non de leurs voisins, s’ils laissent s'abaisser le niveau moral de leurs relations, s’ils n’ont plus de respect des contrats, que sera le commerce dans cent ans ? C’est bien simple, il n’existera plus. La civilisation aura fait place à un état de nouvelle barbarie perfectionnée, où tous les moyens seront multipliés pour s’approprier par la force le bien d’autrui.
Si, au contraire, les hommes comprennent qu’embarqués sur un même navire dont ils ignorent le destin, ils sont égaux devant ce destin et doivent s’entr'aider fraternellement pour tâcher d'arriver au port, alors le sort de l’humanité apparaît comme pouvant être glorieux et tous les espoirs lui sont permis.


André Baudet
(Extrait du discours,prononcé en esperanto au XXIVe Congrès Universel d’Esperanto)
in Le Chasseur Français, n° 516, mars 1933

4 commentaires:

  1. Le nom d'André est malheureusement inconnu dans le monde d'aujourd'hui. Il mérite pourtant d'être découvert J'ai fait des recherches sur lui et je ne connaissais pas ce document.
    Voir "(FR) — Du latin du capitalisme au latin de la démocratie — 2. André Baudet, le sceptique" : http://www.ipernity.com/blog/32119/363186

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  2. P.S. : Il s'agit d'André Baudet et non d'Alain. Il était en outre membre du Rotary.

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  3. @ Henri Masson : merci pour la correction, j'ai bien indiqué le prénom André dans la source mais je me suis trompé dans le titre.
    Il y a peut-être d'autres documents dans la collection du Chasseur français qui avait une chronique "esperanto".

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  4. Oui, Le Chasseur Français a tenu longtemps une chronique sur l'espéranto, et j'ai connu l'existence de cette langue vers 8-9 ans grâce au Tarif-Album de Manufrance, un très gros catalogue (à peu près aussi gros que celui de La Redoute) de la Manufacture d'armes et de cycles de Saint-Étienne, qui était très liée au Chasseur. Ce serait intéressant de retrouver tous ces articles. Celui-ci est particulièrement saisissant. Voir aussi le texte d'une conférence d'André Baudet téléchargeble en pdf :http://www.www.formation-radio.com/pdf/Baudet_Eo-Komerco.pdf

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